« Rajeunir les structures mutualistes représente un enjeu crucial ». Olivier Pastré, professeur d’économie à l’université Paris VIII, donne immédiatement le ton. « Pour des questions de renouvellement, bien entendu. Mais également parce que, dans un monde en pleine transformation, les jeunes sont porteurs d’innovation. Ils constituent enfin une population fragile, particulièrement exposée aux effets de la crise, d’où le lien avec le mutualisme », précise-t-il.
Touchée de plein fouet par la précarité, la jeunesse a, de fait, besoin de la dynamique mutualiste. Pourtant, sa participation reste en retrait, voire marginale. La montée de l’individualisme serait-elle en cause dans ce manque d’intérêt ? « Sans doute en partie, juge Olivier Pastré. Cependant, le problème provient principalement de l’image dont pâtit le système mutualiste. »
Désormais inscrites dans le paysage institutionnel, les mutuelles souffrent d’une représentation vieillie, voire poussiéreuse, qui occulte l’originalité de leur fonctionnement. Lequel est peu connu des Français, souvent incapables de pointer les différences entre sociétés de capitaux et organismes mutualistes. Peu étonnant, dans ce contexte, que ces derniers peinent à susciter l’engagement de la jeunesse…
Pourtant, le modèle mutualiste est plus que jamais d’actualité. « Le fait que les adhérents soient aussi “propriétaires”, le fonctionnement démocratique, la non-obsession du profit, l’investissement sur le long terme… Tous ces éléments constitutifs de l’identité mutualiste depuis le XIXe siècle demeurent aujourd’hui profondément modernes et adaptés au contexte de crise », affirme Olivier Pastré.
Pour preuve, certains principes du mutualisme sont repris et appliqués dans l’économie collaborative, un secteur en plein boom. Responsable de OuiShare, une association active dans le domaine de l’économie collaborative, Samuel Roumeau n’hésite pas à faire le parallèle : « Le modèle mutualiste repose sur la volonté de recréer du collectif. C’est aussi ce que l’on constate avec l’essor de l’économie collaborative. »
Le développement des nouvelles formes de travail indépendant rend même plus pertinent que jamais l’un des fondements du modèle mutualiste : la solidarité entre l’ensemble des adhérents. « L’économie collaborative a fait apparaître de nouveaux risques, explique Samuel Roumeau. Face à l’atomisation des formes de travail, avec des individus isolés, sans protection, la mutualité et le mouvement collaboratif ont un rôle important à jouer ».
Fondamentales dans le mutualisme, la solidarité et la non-obsession du profit sont également des valeurs susceptibles d’exercer une force d’attraction pour les jeunes. « Aujourd’hui, note Olivier Pastré, les jeunes sont davantage à la recherche de sens et cela peut croiser le chemin du mutualisme. »
Moderne, participatif, au cœur des enjeux actuels… le mutualisme aurait donc tout pour plaire ? « Sans attendre une démarche volontaire de leur part, le mouvement mutualiste doit mieux associer les jeunes à la gouvernance des structures et des instances de décision, tempère Olivier Pastré. Des progrès doivent aussi être accomplis en matière de communication : pour séduire, convaincre, mais surtout faire connaître ses valeurs. » Près de deux siècles après sa naissance, le modèle est donc toujours capable de mobiliser la jeunesse. Reste seulement à donner de la voix pour se faire entendre…
Malgré la faible participation des jeunes actifs, les valeurs des mutuelles trouvent un écho considérable au sein des nouvelles générations. Les moins de 30 ans sont souvent en quête de sens et d’un modèle de société où les richesses sont partagées. En parallèle, on observe un vrai tiraillement entre le besoin de sécurité et l’aspiration à plus de liberté. Si les nouvelles formes de travail, notamment avec les plateformes collaboratives, laissent plus de flexibilité aux individus que le salariat, elles sont aussi plus précaires. Beaucoup de jeunes cumulent des petits emplois avec une protection sociale, une assurance chômage et une retraite qui laissent à désirer. Ce contexte est propice à la réinvention d’un modèle mutualiste qui permettrait de partager les risques entre les individus et de promouvoir un nouveau contrat social à l’heure numérique.
Samuel Roumeau est l’ancien président de l’association OuiShare. Fondée en 2012, cette association œuvre en faveur d'une société collaborative organisée autour de communautés de pairs.
Samuel Roumeau est l’ancien président de l’association OuiShare. Fondée en 2012, cette association œuvre en faveur d'une société collaborative organisée autour de communautés de pairs.